27 mars 2013

Le Mur (VIII)


Le zinc est mat, la tuile est sale, 
Les pigeons rampent sur le toit. 
En appuyant sur la pédale 
Je vois le mur avec effroi. 
Sur aucune carte postale 
On ne verrait un tel endroit ! 
Sa paroi de mastic s’étale 
Sans honte aucune devant moi, 
Produit de l’erreur magistrale 
D’un architecte maladroit. 
Peu d’espoir que quelqu’un ravale 
Cette façade, on le conçoit : 
Devant sa laideur sépulcrale, 
On ne peut que demeurer coi. 
Et pourtant vers lui je cavale 
Pour battre un utopique exploit. 
C’est celui du record en salle 
De vélo pour perdre du poids.

14 mars 2013

Le Mur (VII) Sonnet du vélo d'appartement




C’est un vélo DOMYOS, modèle bas de gamme,
Au carter bleu et blanc, trouvé chez Décathlon.
Le monter, la notice aidant, ne fut pas long,
Nonobstant son poids lourd de vingt neuf kilogrammes,

« Qui contribue à sa stabilité, madame »,
Comme a dit le vendeur. Bref, lourd comme du plomb.
Il n’a évidemment pas de roues, son guidon
N’est qu’un repose-mains mais il (là, je m’exclame)

Comporte pour le pouls deux sensibles capteurs
Mesurant la vitesse à laquelle mon cœur
Bat, et me l’affichant par des cristaux liquides,

Sur un petit écran. Mais ce qui est très dur,
C’est qu’il est équipé d’une selle perfide
Qui me meurtrit le cul quand je vais vers le Mur.


13 mars 2013

Le Mur et l'art po (VI)

Giovanni Merloni, Le Cycliste, 1970.
Extrait de son blog, Le Portrait inconscient


Il suffit aujourd’hui pour se dire poète,
Pourvu qu’on sache un peu manier l’alexandrin
Et qu’on ne soit pas tout à fait analphabète,
De laisser ses humeurs s’écouler par ce drain.

Ah que j’aurais aimé les mettre sur la table,
Mes entrailles, mon sein, mon foie, mes reins, mon cœur,
Pour vous faire pousser un soupir lamentable
Et voir votre œil ému s’humidifier d’un pleur !

Avec des lieux communs et des stéréotypes,
Des clichés, des idées reçues et des poncifs,
Je vous aurais montré sans vergogne mes tripes,
Choisissant les plus éculés des substantifs.

J’aurais parlé d’amour, de bonheur, de tendresse,
De partage, de sens, de ciel, de lendemain,
Jusqu’à ce que ma muse, en me bottant la fesse,
Ne vienne m’accuser de faire la putain,

Et, d’un doigt impérieux, me désignant la page
Où se trouve gravé le saint nom de Queneau,
Ne m’enjoigne de me remettre à mon ouvrage,
Ordre auquel j’aurais obéi d’un air penaud.

Poète, à tes instincts il te faut mettre un frein !
Pour contenir l’affect construis-toi une digue.
Prends un peu de recul pour pondre ton quatrain,
Et de tes sentiments ne sois pas trop prodigue.

Si tu n’as pas de digue, un mur qui te fait face,
Lorsque tu es sur ton vélo d’appartement,
Pourra faire ma foi une digue efficace.
Tu le contempleras et tout en t’échinant,

Tu devras déchiffrer comme dans un grimoire
Les ratures les traces et les inscriptions
Gravées sur sa paroi, surgies de ta mémoire,
Car c’est en pédalant que vient l’inspiration.

12 mars 2013

Le Mur (V) Octosyllabes



Du mur d’en face, sans trucage, 
La neige efface la couleur 
Et le fond dans un paysage 
Qui perd un peu de sa laideur. 

Le voyageur, sous un abri, 
Attend un bus hypothétique. 
Pour se déplacer dans Paris 
Il faut un naturel stoïque. 

La tour Eiffel a disparu, 
Du Sacré-Cœur on voit une ombre, 
Saint Augustin, pourtant ventru, 
Dans la vague du néant sombre. 

Pourtant je suis sur mon vélo, 
Et bien que je n’y voie que dalle, 
Vers le mur je fonce en solo 
En appuyant sur la pédale.

















11 mars 2013

Le Mur (IV), rondeau



Sur mon vélo je contemple ce mur 
Aux plis crasseux et à l’enduit obscur, 
Plus triste encor qu’un mur de cimetière, 
En essayant d’y voir une frontière. 
Mais quand il pleut l’exercice est trop dur… 
Si seulement j’apercevais l’azur ! 
Si le soleil éclairait un ciel pur ! 
J’aurais sans doute une mine plus fière, 
Sur mon vélo. 

Je n’irai pas jusqu’à Kuala Lumpur 
Sur cet engin privé de roues, c’est sûr. 
Si je supporte une horrible galère 
Et si de ma pédale j’accélère, 
C’est pour maigrir, car je pense au futur, 
Sur mon vélo.


10 mars 2013

Habemus papam

Trois jours après que les pompiers eurent installé, sur le toit de la chapelle Sixtine, le conduit et la cheminée qui devaient après chaque scrutin véhiculer vers les cieux leur fumée informative — noire en cas de vote non concluant, blanche en cas d’élection — le conclave commença, sous la direction du Saint-Esprit. Benoît XVI étant revenu, contre Jean-Paul II, aux normes du concile de Latran, le collège des cent-quinze cardinaux électeurs était tenu d’obtenir la majorité des deux tiers. Aussi Fulvio, qui avait arrimé sa caméra de façon à ce qu’elle cadre parfaitement le sacré tuyau de poêle, se préparait-il à une longue attente. La foule s’était massée sur la place et les pronostics allaient bon train : on pensait généralement qu’en l’absence d’une personnalité marquante, aucun des candidats ne recueillerait plus de vingt voix, et qu’on serait par conséquent obligé d’élire un outsider, ce qui prendrait du temps. On imagine alors la rumeur de surprise, les index tendus vers le toit, les bouches bées et la stupeur des spectateurs pétrifiés croyant apercevoir un peu de fumée blanche s’échapper de la sainte tubulure. Fulvio se précipita vers sa caméra. Mais les cris redoublèrent quand la fumée, de blanche, sembla virer au gris, puis se teinta légèrement de rouge, et s’irisant, parut soudain passer au jaunâtre et au bleu. L’œil rivé à son objectif, Fulvio zooma et la foule se tut, car la fumée annonçant qu’un nouveau pape venait d’être élu avait indéniablement toutes les couleurs de l’arc-en-ciel.

08 mars 2013

Le musée endormi

Morphée, marbre, par Houdon.
Il était pile vingt heures lorsque Morphée, qui dormait depuis le matin  (Où donc ? mais au rez-de-chaussée de l’aile Richelieu, dans la salle 25 de la petite galerie de l’Académie, voyons), ouvrit un œil, sauta prestement de son socle et secoua ses ailes. Autour de lui, tout était calme. Mercure avait déjà détaché ses talonnières et ôté le ridicule pétase dont l’avait affublé Pigalle. Après quelques exercices d’assouplissement il avait déplié le drap qui lui servait à masquer sa nudité aux yeux des dames et s’y était pelotonné, profitant du silence enfin revenu pour céder au sommeil. Le satyre Marsyas, assis, attendait que le sang lui redescende de la tête pour s’allonger, épuisé d’être resté, neuf heures durant, les sabots en l’air. Il ne tarderait pas à dormir lui aussi, comme un Loir qu’il était, au fond. 

Marcyas renversé, Lexis Loir.
Jésus-Christ, quant à lui, avait laissé tomber sa croix de rondins sur laquelle son voisin Neptune avait posé son trident. Tous deux mangeaient un morceau en compagnie de Judith qui, n’en pouvant plus d’avoir tendu sa lourde épée, avait oublié la tête d’Holopherne sur son guéridon et secouait son bras droit ankylosé. L’aigle, la tête repliée sous son aile, feignait de ne pas entendre les reproches de Prométhée qui trouvait qu’il y avait été un peu fort, cette fois. Archimède éternua à deux reprises. — « Ch’suis placé trop près de la fenêtre », grommela-t-il en guise d’excuse à Hercule, dont les fesses portaient encore la marque du bûcher sur lequel il était assis depuis le matin. 

Archimède, marbre, Boquet Saint-Simon
Morphée se hâta, évitant le regard équivoque du génie du Printemps. Vraiment pas son genre. Et puis il avait mieux à faire cette nuit ! Il consulta sa lettre de mission : 

1. Sauver Agamemnon endormi ;
2. Réveiller Hermaphrodite, lui donner ses médicaments ;
3. Mettre fin pour la nuit à la dormition de la Vierge ;
4. Renouveler les rêves d’Endymion ;
5. Trouver une solution pour endormir Desdémone ;
6. Présider au réveil des apôtres au jardin des Oliviers et endormir leur maître par la même occasion. 

Clytemnestre hésitant avant de
frapper Agamemnon endormi

par le Baron Guérin.
Voler à la rescousse d’Agamemnon était sans conteste le plus urgent. L’homme était menacé par un destin cruel. Assoupi malgré ses crimes et la lumière crue qui baignait la pièce, un vague sourire aux lèvres, il était loin de se douter que, dans l’ombre du rideau rouge qui séparait son lit de repos du couloir, son épouse Clytemnestre approchait lentement, un poignard à la main. 

Morphée battit plus fort de ses ailes épaisses de papillon de nuit, quitta celle de Richelieu pour celle de Denon, s’éleva d’un étage en direction de la salle 75, et fonça vers l’œuvre du baron Guérin sans remarquer le regard blasé de la grande Odalisque d’Ingres qui soupira d’ennui en le voyant passer. Pas la peine de bouger pour regarder sa montre, elle savait exactement quelle heure il était… 

Il était juste temps ! Comme chaque soir, Morphée arriva au moment crucial pour envoyer à Agamemnon un rêve prémonitoire qui le réveilla, en sueur, les cheveux hérissés, le cœur emballé. Clytemnestre battit en retraite. Le salaud ne perdait rien pour attendre, la vengeance est un plat qui se mange froid, etc. Mais le tableau était sauvé, jusqu’à demain. 

Hermaphrodite endormi (côté face)
Œuvre romaine d'époque impériale
Morphée raya soigneusement le premier nom de sa liste et fit une grimace en lisant le deuxième. Hermaphrodite était un, heu… une, enfin… un cas plus gênant. Il se sentait mal à l’aise à l’idée de l’aborder. La coexistence de deux manifestations sexuelles aussi contradictoires sur un même corps le dérangeait au point de le tétaniser, il se sentait incapable de poser la main sur l’épaule de la créature, de supporter la vision d’un sein blanc et rond si proche d’un pénis en érection, et de pénétrer ses rêves hallucinants. Volant de l’aile Denon vers l’aile Sully, il se dirigea pourtant vers les antiquités grecques, étrusques et romaines, et repéra bientôt l’objet de sa recherche, qui s’agitait dans des draps tirebouchonnés, un pied en l’air, en étreignant son coussin. Morphée, détournant le regard, secoua fortement l’espèce de matelas pneumatique sur lequel Hermaphrodite se livrait à ces ébats impudiques. —« Hé ho ! » dit il. « C’est l’heure ! » En même temps, il fit une incursion, la plus brève possible, dans le rêve fusionnel du joli monstre, de façon à y mettre fin. Hermaphrodite, se soulevant d’un mouvement gracieux qui mit en valeur sa chute de reins, protesta de sa voix de basse : 
— Pourquoi me réveilles-tu ? » 
— C’est le règlement dit Morphée, imperméable à ces charmes. Ceux qui dorment le jour doivent veiller la nuit. 
— C’est un alexandrin, fit remarquer quelqu’un. Morphée se retourna. Ariane s’était réveillée, fraîche simple et nette, pas un pli de son drapé n’était froissé. Il sentit ses ailes flageoler et lui sourit : 
— Ah tu es réveillée aussi ? Tout va bien ? 
— J’aime pas les alexandrins, fit sèchement Ariane, qui partit d’un air blessé vers les bords où le sculpteur romain l'avait laissée, sans accorder l’aumône d’un regard, même mourant, au pauvre Morphée

Celui-ci soupira tout en sortant de sa poche une petite boîte à pilules. Il en tendit une à Hermaphrodite qui fit la dégoûtée. 
— Allez, avale, sois gentil, j’ai pas que ça à faire, moi, j’ai la Vierge à réveiller, dit-il un peu trop fort. Jésus, qui l’avait suivi, avait tout entendu. 
— Tu pourrais pas la laisser un peu tranquille, ma mère ? Elle a tout de même le droit à son dernier repos, non ? 
La Dormition de la Vierge, le Caravage.
— Le règlement est le même pour tous, répéta Morphée, impavide, qui s’envola en direction de la salle 8 du 1er étage de l’Aile Denon. 
La Vierge y était allongée, entourée des disciples en pleurs. Elle n’était pas bien belle, dans cet état. Quel ravage, pensa Morphée en lui tapotant respectueusement le bras. La Vierge, se réveillant, roula des yeux blancs vers le ciel. Soulagés, les disciples se retirèrent l’un après l’autre derrière le rideau rouge, pressés de se mettre au lit. Marie-Madeleine se redressa, un peu bouffie. 
— Je crois bien que je dormais, dit-elle. 
Le Sommeil d'Endymion, Girodet.
Morphée ne releva pas cette remarque en forme de provocation, mais sortit son petit carnet et raya le mot Vierge. Le prochain nom sur la liste était Endymion. Ce type était une exception. Comme il était totalement impossible à réveiller la nuit, il fallait renouveler son stock de rêves. Justement la partie de son boulot que Morphée préférait, parce qu’il pouvait enfin exercer son art dans toute sa plénitude. Il s’installa devant Endymion, jeta quelques grains de sable dans les yeux de Zéphyr pour lui indiquer qu’il pouvait aller se coucher, et se concentra. Zéphyr bailla, lâcha les branches qu’il tenait écartées, ce qui barra la route au rayon de lune caressant la poitrine du pâtre. Un autre rayon argenté, venu de la fenêtre, le remplaça aussitôt, inspirant Morphée, qui envoya au jeune endormi un rêve pas piqué des hannetons, si l’on en croyait du moins la mine extatique du bellâtre. Morphée afficha le demi-sourire de satisfaction discrète du vrai pro. Du premier coup, se dit-il ! Il en a pour la nuit, le gras-du-bide ! Demain Phœbé n’aura pas à se presser pour prendre la relève. Et il raya Endymion de sa liste.

Le coucher de Desdémone
Théodore Chasseriau.
Le Silence, Théodore Chasseriau.
Jésus au jardin des oliviers
Pendant ce temps, la pauvre Desdémone, vêtue d'une chemise de nuit aussi blanche que son âme pure, hésitait à aller se coucher, comme si elle pressentait le crime affreux dont elle allait être la victime innocente. Pas facile, pas facile, se dit Morphée en arrivant près de son lit. Comment la faire sombrer dans mes bras sans attenter à sa pureté et éveiller les soupçons de la camériste ? Pas facile. Il lui fallait prendre une décision sans attendre. C'est alors qu'en lisant le nom de Chasseriau sous le tableau, il eut une idée. C'est cela, pensa-t-il en frappant la paume de la main gauche avec son poing droit. Le Silence du même ! Il trouva ce dernier sans peine au département des peintures, il connaissait par cœur son numéro d'inventaire, le 20016, et sut se montrer persuasif, car, à peine cinq minutes plus tard, il était de retour devant Desdémone dont la tristesse infinie faisait toujours peine à voir. Le Silence envahit la pièce, posant un doigt sur sa bouche, et fit taire les bruits extérieurs comme les voix intérieures. La camériste se retira et Desdémone, apaisée, s'allongea. C'est le moment que Morphée choisit pour parachever ce travail en lui suggérant le plus discrètement possible un rêve bucolique. Après avoir remercié Le Silence avec chaleur et l'avoir aidé à s'endormir lui aussi, il raya consciencieusement le nom de Desdémone de sa liste et attaqua sa dernière ligne droite.
Dans la grande galerie de l'aile Denon, pas loin des Arcimboldo, il n'eut pas de mal à trouver la grisaille italienne sur cuivre (rehaussée d'or sur fond de bleu de lapis-lazuli,) qu'il cherchait. À genoux sous un olivier (qui ressemblait plutôt à un palmier, se dit-il) et suant des larmes de sang, Jésus angoissé implorait son Père d'éloigner la coupe qui brillait à gauche entre les mains d'un ange. Au dessous de lui ronflaient trois apôtres, tandis qu'une foule menaçante apparaissait au loin, elle avait déjà franchi le portique. C'était le moment. — Allez, allez, debout là dedans ! cria Morphée en tapant des mains. Il n'eut pas plutôt prononcé ces mots qu'il se sentit saisir par des mains puissantes. Celles d'Hercule, qu'accompagnait un groupe de révoltés, dont Archimède et Hermaphrodite eux-mêmes.
— Ça suffit, dit Jésus-Christ, qui semblait en avoir pris le commandement, tu arrêtes, maintenant.
— Le règlement... commença Morphée d'un filet de voix.
— Il n'y a aucun règlement qui tienne, on en a assez, lui dirent les autres.
— ... c'est le règlement, continua Morphée non sans courage.
— Oui, mais ce qui est écrit est écrit, répliqua Jésus-Christ.
— Mais c'est mon job, protesta le pauvre Morphée.
— Job, c'est pareil, tu le laisses tranquille, répondit J.-C. en clignant de l'œil, ce qui provoqua l'hilarité de la petite bande.
— M'enfin, s'écria Morphée, il n'y a que moi, en somme, pour prendre mon boulot au sérieux.
Il ne comprit pas pourquoi les rires redoublaient.

05 mars 2013

Le mur (III)


Les deux poèmes suivants ont été écrits dans le cadre d'un échange « Vases communicants » avec le peintre et écrivain Giovanni Merloni qui les a publiés sur son blog leportraitinconscient.com, tandis que je publiais les siens sur le mien.
Je les recopie ici. Le premier est un sonnet, le second un poème acrostiche sur le nom de Giovanni Merloni. Ils font suite à ma série Le Mur (ou le vélo d'appartement !) mais dans l'optique « mur = frontière » qui nous était commune. Je n'ai modifié qu'un seul mot dans le sonnet par rapport à la version parue chez Giovanni, à cause d'une répétition malencontreuse que j'ai repérée trop tard. 
Depuis, Giovanni Merloni m'a fait la surprise et l'honneur de traduire ces deux poèmes en italien ! Vous trouverez sa traduction ici . Qu'il en soit remercié !

Le mur comme frontière. Il suffit de passer au travers.


I – LE MUR EST UNE FRONTIÉRE

Tu pédales toujours : ça porte à réfléchir.
Ce mur beige et crasseux dont la surface gerce,
Ce mur est la frontière et ton regard le perce,
Comme si tu sentais le soleil resplendir

Derrière sa paroi. Soudain tu vois surgir
— Tandis qu’à la radio un Scarlatti te berce —
La vision d’un pays si beau qu’il bouleverse :
Voilà qu’il t’envahit, mieux qu’en ton souvenir !

Les vignes et les pins des collines toscanes,
La Sicile, Palerme et le temple de Diane,
Les statues, les musées, le baroque, les ors,

La campagne d’Assise et les beautés de Sienne,
Les citrons d’Amalfi, de Rome les trésors,
Et la musique au cœur de la langue italienne.


II – LA LANGUE ITALIENNE EST MUSIQUE

Glissando : doucement, monte sur ton vélo.
Imperioso : c’est ton allure sur la selle.
Ostinato : il t’en faut du courage ma belle !
Vivace : tu vois fondre à vue d’œil les kilos.
Adagio : ralentis pour reprendre ton souffle.
Nobile : c’est très dur, tu sens la sueur couler.
Note : cette sonate t’aide à pédaler.
Intermezzo : voilà, c’est le sport en pantoufle !
Ma non troppo : mais ne nous fait pas d’infarctus…
Espressivo : l’écran dit cent-vingt par minute,
Rubato : c’est ton cœur, là, que tu persécutes.
Larghetto : tu te dis, bientôt le terminus !
Opera : ton travail (tri-pa-li-um !) s’achève :
Nasardo : un dernier gémissement plaintif,
Istesso tempo : et tu descends du vélo.
Vue d'Amalfi de mon vélo d'appartement

03 mars 2013

Mathusalem sur le fil

Atropos coupant le fil de la vie (détail)

La mort hante le dernier livre[1] de Jean-Louis Bailly. Pas le phénomène physique, décrit avec force détails scientifiques, dans son précédent roman[2], mais le fil de laine marquant l’arrivée d’une course au ralenti, qui se déroule dans une impasse et entraîne deux nonagénaires ennemis vers leur fin. 
Sur ce fil, pas de différence entre le juste et le salaud, le gros et le maigre, le droit et le voûté, selon le bon principe d’équivalence. 
La mort n’épargnera pas non plus les spectateurs de cette course allégorique. Rachel la serveuse craint d’autant plus la sienne qu’elle semble s’éloigner d’elle. La jolie mais triste Céline signe par une petite mort scabreuse la fin de sa virginité, celle de son premier amour et celle de sa e-réputation. C’est à l’aide d’un autre fil que le petit Mathurin perdra sa dent de lait. Pour avoir mis la vidéo de cet événement sur le Net, son père, lui, perdra sa femme. 
Les photos numériques du voisin Florian garderaient bien la trace de la course à la mort des Mathusalem, mais le narrateur les efface presque toutes de la mémoire de son ordinateur. Trop floues, trop précises, trop mièvres, trop indiscrètes, trop menteuses, à l’instar de nos souvenirs. 
Pour pouvoir évoquer à volonté leurs images éphémères, la jeune Margaux se fera implanter un nanoprocesseur dans le cerveau. Illusion ! Une photo du temps de leur enfance, imprimée celle là, avait transformé en ennemis les deux vieux coureurs. Effacée, elle aurait peut-être empêché leur brouille, mais pas leur fin. 
Les fils du récit se tissent et s’entrecroisent. Au lecteur de trancher ?



[1] Mathusalem sur le fil (L'Arbre Vengeur, 2010). 12 euros.
[2] Vers la poussière, chez le même éditeur.,


01 mars 2013

À quoi ça sert le mur ? Giovanni Merloni


Certains des lecteurs de Blog O'Tobo qui ne sont pas sur Twitter ignorent peut-être ce que sont Les Vases communicants. Ce projet lancé en 2009 par Le Tiers livre (François Bon) et Scriptopolis (Jérôme Denis)  (l'histoire est racontée ici) consiste à échanger avec un autre blogueur littéraire, chaque premier vendredi du mois, chacun écrivant dans le blog de l'autre. Brigitte Célerier, une autre blogueuse, en publie régulièrement la liste. Je n'y avais encore jamais participé. Aujourd'hui c'est chose faite grâce à Giovanni Merloni, peintre et écrivain dont je suis avec bonheur et fidélité les créations en français, en italien et en images, sur son blog Le Portrait inconscient. J'avais entamé une série sur « le mur », celui que je vois lorsque je pédale sur mon vélo d'intérieur. Elle se poursuit sur leportraitinconscient.com, mais avec une autre perspective : celle du mur frontière entre nos deux langues et pays. C'est aussi le thème du texte de Giovanni Merloni que vous pouvez découvrir ci-dessous. Avec en prime, deux acrostiches sur mon nom et sur mon pseudo de twittos, Souris_Verte !

À quoi ça sert le mur ? 

(petit spleen en prose sur le thème de la frontière) 


Montmartre

Si vous avez un mur qui vous enlève le souffle vous feriez mieux de l’abattre.
Ou alors de le contourner en y ouvrant une petite porte.
Un mur de ciment, vous dites ? Un mur de préjugés ? Une feuille morte ?
Rester chez vous ce n’est pas confortable ? Je vous crois. Mais il faut se battre !
Inutile de vous conseiller de vivre avec ce mur, s’il vous gêne. Mais…
Si vous partez sans rien faire, votre frontière ne vous quittera jamais.

France 1958

Évoquant la maison, le quartier sans murs… de mon quotidien d'enfant bourgeois (pauvre) ne jaillissent que des mots français. J'étais bien gauche avec mes galoches !
Lamy (Hortense), ma prof de français, ne se bornait pas à nous interroger sur Deux-et-deux-quatre ou sur Mon petit-oiseau-s'est-tordu-le-pied.
Insensiblement, elle glissait à nos oreilles les Frères-humains-enfants-de-la-patrie, La-cigale-et-la-fourmi et Je-pense-donc-je-suis. Elle finissait toujours ainsi : Voilà-c'est-la-vie.
Sans les chansons de Piaf et Montand, l'île mystérieuse de Verne, la liseuse de Renoir et la danseuse de Degas, cela n'aurait pas été le cas. Sans le pont d’Avignon cela n’aurait pas été si bon.
Avant de voir Paris et Azay-le-Rideau, on se désaltérait aux mots de Rousseau en écoutant Le Galérien, qu’on comprenait tant mal que bien. Ce petit rien faisait déjà sangloter ma mère.
Bagages sur le toit de la voiture hardie, la France accueillit avec élégance notre insouciance de voyageurs sans trop de chance.
Egalité ne va pas sans Liberté. Fraternité nécessite la République. Progrès a besoin d’avenir. L'avenir a besoin de Mémoire.
Tout cela tournait bien dans ma tête : une roue parfaite d’exemples vivants m’aidait à vivre sous mon plafond éblouissant de Rome, tout en rêvant du ciel gris de Paris.
Hélas, ce fut alors que je m'aperçus qu'il y avait un mur qui m'empêchait de rencontrer le Gavroche que j’hébergeais dans ma poche. Comment sortir d'une situation si moche ?

Halles 1964

Voyez ce qui se passe lorsqu’on passe de l’utopie aux faits. Difficile de savoir si c’est le mur des faits ou le mur de l’utopie qui nous barre le passage. Quoi faire ?
Entrer dans la France sans sortir de l'Italie ? Ondoyant comme une pendule je ne faisais que ça. Je partais et mourais à chaque fois
Résistant dans le monde dérangé où j’étais né, j'y serais resté si ce mur fermé ne se fût brisé par l'ouverture badine d’une fourche caudine.
Tout d'un coup retraité, j'héritais d'un oncle disparu un grossier passepartout.
En sortant des remparts de mon monde assiégé j'ai joué ma partie installant ma seconde patrie dans un autre pays.


France 1991
Changeant de coordonnées (pas d’identité) je découvre la copropriété, le coin, le passage, le village, le canal coulant et le pont tournant.
Hanté d'hôtels et d'hôpitaux, ce quartier des deux gares ne m'égare pas du tout. La rue de Paradis m’amène à la Villa Médicis, la rue de la Fidélité dure une romaine éternité, tandis que le passage du Désir devient Pont des Soupirs.
Avançant éphémère avec ma gueule d'Atmosphère j'entrelace des liens avec les Garibaldiens... Reculant pensif, ma tradition à la main, je me perds à République dans la couleuvre humaine.
Montant par Magenta en flâneur ardent, j'atteins le métro chez Jacques Bonsergent.
Oh j'en avais envie, de même que Zazie, de cette fourmilière pleine d’humeurs et de stratosphère.
Nombres de compatriotes partagent ma stupeur vis-à-vis de la quotidienne rengaine de cette fête foraine.
Trottant sur le trottoir entre trottinettes et sacs à dos je gagne avec émotion la gare de Lyon et m'accoude sur les quais voir les trains arrivants dans un film d'antan.
Immobile, je ne rêve plus de partir. J'ai mon mur avec moi, dans cette valise grise où je garde ma chemise. Je lis Turin ou Milan tout en poursuivant un lapin lointain.
Nonchalant, à chaque jour, je fais une toile de Pénélope de mon mur ou alors un labyrinthe azur pour cette vie douce et salope qui m'a rendu dur.


 Gainsbourg